Claudie Gagnon — Incantations de lumière
5 avril 2024
par Galadriel Avon
Galadriel Avon est une auteure et commissaire indépendante, de même que la directrice éditoriale de Vie des arts. Elle travaille à partir des régions périphériques de Mont-Saint-Hilaire et de Kamouraska, Quebec.
Banque Nationale Gestion privée 1859 est fière de présenter l'oeuvre de Claudie Gagnon à Plural 2024.
Claudie Gagnon travaille en transparence et en finesse. De manière presque alchimique, elle élabore depuis plusieurs années de grands dispositifs ressemblant à des lustres : ceux-ci exploitent, à partir de matériaux translucides, les effets de lumière qui s’invitent volontairement ou involontairement dans les divers lieux d’exposition les abritant.
Une multitude d’objets trouvés constituent ses suspensions. Parfois tirés d’anciennes verreries de laboratoires, d’autres sont aussi simplement glanés. Ils sont, tour à tour, des éprouvettes, des tubes de chimie, des burettes puis des ballons; des coupes, des verres de lunettes, des chutes de verre soufflé puis des bouteilles – tous se mariant aux éclats cristallins issus des trouvailles passées, souvent cassées, qu’a faites l’artiste. Dans l’atelier, un système de classement contrôle leur accumulation. Gagnon y crée des catégories qu’elle fera plus tard se rencontrer. Par une démarche analogue, elle déniche et range des supports qui dicteront la forme et la symétrie de ses pièces futures. Comme une façon de trouver dans l’ordinaire l’extraordinaire, son ramassage lui permet de se porter au confluent de véritables pépites matérielles.
Ces créations, sortes de mirages, sont les prismes de projections, d’effets de grossissement ou de rétrécissement – comme le ferait une loupe sous l’emprise d’une source lumineuse girante – et de jeux de miroir. La course du soleil modifie leurs jaillissements à mesure que les rayons caressent leurs reliefs : les œuvres, en pleine captation de ce qu’offre leur environnement, changent d’aspect jusqu’à parfois devenir immatérielles et fantomatiques, diaphanes. Un éclairage artificiel, utilisé dans certains contextes de diffusion particuliers, vient aussi rehausser des volumes et souligner des détails. Si les projets ont la capacité sporadique de disparaître, ils possèdent l’aptitude inépuisable d’émettre des chatoiements tous plus variés les uns que les autres : selon les courants d’air soufflant sur eux, couleurs et reflets éclatent dans l’espace et subliment l’expérience de leurs qualités plastiques tout comme du lieu dans lequel ils se tiennent. Les œuvres, ainsi, travaillent seules à nous émouvoir.
Au-delà du champ des possibles que la matérialité de ces fragments ouvre, Gagnon s’intéresse aux couches de vie qu’ils portent en eux. Leurs utilisations antérieures, les histoires qu’ils ont nourries et celles qu’ils réécriront une fois reconditionnés et revalorisés par son geste sont au centre de ses préoccupations. Cette manière d’envisager la narration de ses pièces, qui ne se peut que par l’entremise de la récupération dont proviennent les objets qui les composent, est constituante de l’attention qu’elle porte à leurs amalgames de matériaux. Ceux-ci résultent de choix conscients et consciencieux.
Cet intérêt et celui entourant ce que les hasards peuvent engendrer permettent également à l’artiste d’opérer des basculements puis de jouer avec les tensions et les polarités. C’est l’enchantement qui naît en nous lors de notre réception de ses œuvres que l’artiste travaille à renverser en faisant s’immiscer, parfois même malgré elle, des éléments fortuits dans ses projets. Certains insectes encapsulés par la force de l’âge dans ses éprouvettes vieillottes, notamment, entraînent une forme d’aversion ou de répulsion en rupture complète avec l’état de fascination que provoquent, par leur magnificence et la préciosité qu’ils projettent, ses accrochages. Ces derniers oscillent donc entre le récit de l’objet, une narration plus large – dans ce cas, par exemple, un questionnement sur l’usure, sur le temps – et l’imaginaire du public, confronté à ces symboles et sens successifs.
À Plural, de fragiles mais imposantes suspensions de Claudie Gagnon habiteront la Baie vitrée du Grand Quai du Vieux-Port de Montréal. On les hissera à ses hauts plafonds pour les laisser embrasser pleinement son espace dégagé, que l’on sait propice à toutes sortes de miroitements. Les pièces sont façonnées dans la patience et l’attention. Et le public devra à son tour être patient et attentif pour saisir les subtilités contemplatives de leur constitution.
Claudie Gagnon est représentée par Chiguer Art Contemporain.